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mardi 4 décembre 2012

D'Alexandroupolis (Gr) a Tekirdağ (Turquie) - Eloge aux camionneurs



Pas moyen de passer la frontière greco-turque a pied, c'est formellement interdit. On a tourné le probleme dans tous les sens, on est obligé de prendre un bus qui nous mène a Keşan, la première ville turque après la frontière. Dès notre sortie de l'hotel où nous avons passe la nuit a Keşan nous croisons tout un tas de gens tres souriants qui nous font un accueil chaleureux ce qui nous euphorise complètement. On est en train de se dire qu'on se sent bien dans ces pays un peu bricolo-bordéliques. On repense au Piemont italien ou a la Bosnie-Herzegovine entre autres. On s'emballe un peu tout en riant et en envoyant des grands "Merhaba" a tout le monde quand on croise un type qui nous annonce que le quartier vers lequel on se dirige est tres dangeureux. Il préfère qu'on repasse par le centre ville pour regagner la route principale. On demande pourquoi, il nous dit que son anglais n'est pas assez bon pour expliquer maıs nous lache quand même "Gypsies steal people with guns..." Plusieurs personnes nous avait deja fait des signes de rebrousser chemin avant, mais comme elles ne parlaient pas anglais, on pensait que, comme d'habitude on oubliait que nous sommes piétons pour nous indiquer un chemin plus rapide en voiture... Nous réfléchissons un moment et décidons de ceder à la peur et aux eventuels fantasmes du type en rebroussant chemin. Nous ne voulons pas prendre de risques et sommes un peu moins zélés depuis l'episode albanais. On ne l'a jamaıs vraiment été d'ailleurs, zélés, on est plutot prudents de nature mais on essaye, dans la mesure du possible, d'evaluer la crédibilite de nos interlocuteurs et de ne pas prêter trop d'attention à des discours racistes, alarmistes, à des querelles de quartiers ou à des types un peu trop alcoolisés. Pas évident de savoır sı cet endroıt etait réellement un repaire de malfrats ou simplement une banlieue très pauvre habitee par des roms. On repense à notre sortie de Mostar dans les bidonvilles ou à la traversee de la banlieue déglingue de Gjakova que certains nous auraient peut-etre déconseillé... si nous les avions croisés. Pas toujours évident de faire la part des choses.

Le long de la quatre voies qui traverse cette partie de la Thrace orientale nous continuons a brailler notre répertoire de chansons quı s'enrichit de jour en jour et dont nous ne sommes pas peu fiers. Les camionneurs et pas mal d'automobilistes nous klaxonnent et font de grands bonjours ce qui nous faıt toujours autant marrer. Nous marchons a contre-courant du flux, par sécurité bien sur, mais aussi pour eviter qu'une voiture sur deux nous propose de nous embarquer et que notre refus passe pour une impolitesse : on ne refuse pas une invitation en Turquie. 
Une chose amusante que nous n'aurions jamais soupconné au depart de ce voyage, c'est l'amitié que nous font les camionneurs qui nous considèrent presque comme étant des leurs (ce qui amuse beaucoup Benjamin qui n'a toujours pas son permis). Ils entretiennent un rapport au voyage et à la rencontre de l'autre bizarrement assez proche du notre. Romeo en İtalie, Šefık en Croatie, Rusmir en Bosnie et Herzegovine et Christos en Grece, tous des camionneurs qui temoignent d'une grande curiosité et surtout qui n'ont pas peur de l'alterité, sans doute un peu parce qu'ils voient du pays...
Car, malheureusement depuis le début de ce périple, on se rend compte que c'est plutot rare. Entre deux bosniens qui nous disent que le probleme en France c'est les arabes (merci la télévision et le spectacle a sensation des voitures qui brulent en banlieue parisienne), un bon nombre de grecs et d'italiens qui semblent très inquiets du récent flux migratoire dans leur pays, certains grecs qui ignorent les macedoniens ou font mine de ne pas comprendre quand on parle d'İstanbul (Konstantinoupoli), une serveuse qui nous dit, l'air inquiet, qu'en Turquie les gens sont ''différents''(on n'a pas eu la présence d'esprit de lui dire que c'est précisément ce qu'on cherche avec ce projet les gens différents), un macédonien qui déplore que dans son village seulement 50% de la population soit "clean" (les 50 autre étant des macédoniens d'origine albanaise, turque ou des roms), et cela reste le meilleur, ce francais de Murat sur Vèbre qui dans un restaurant explique vouloir "balancer des grenades à la gueule de ces sales moukhers" (très élégant, on a failli s'étouffer et on a mis quelques jours à s'en remettre à vrai dire...) Alors pour se réconforter, et pour changer des chansons, on s'est appliqué à énumérer les noms aux douces consonnances étrangères de nos amis et connaissances en se disant qu'on était tout de même assez fiers de la mixité culturelle francaise.

C'est a nouveau un camionneur qui nous fait signe de venir boire un thé alors que la pluie se met a tomber en traversant le village de Yenice. Hüseyin est a la retraite et il tient une petite gargotte en bord de route ou il cuisine et vend des piments et des tomates de son jardin. La météo s'annonce très mauvaise pour la nuit, Hüseyin nous déconseille de dormir dans la tente et nous propose de dormir dans une sorte de salle des fêtes juste derrière son restaurant. Il nous offre des fruits et une portion de peynir helvası, un dessert traditionnel turc a base de fromage avec beaucoup de beurre et de sucre qui a la consıstance d'une purée au gruyère filendreuse, très gras et très bon. Benjamın n'aime pas trop et justement, puisqu'on parle de lui, il vient de s'éclipser avec un groupe de chasseurs quı veulent lui montrer les sangliers qu'ils viennent d'abattre. Ce grand benêt quı ne sait pas dire non, revient avec un énorme morceau de bidasse tout frais sanguinolant entre les mains et un sourire niais qui dit "on va faıre quoi avec ca maintenant ?" Heureusement que nous sommes dans un restaurant et que Hüseyın, un peu étonné dans un premier temps, nous propose de cuisiner cette viande pour nous. C'est donc un sanglier aux petits légumes et à l'ail qui fera notre repas du soir. Hüseyin écoute une très belle musique turque (des choeurs feminins) et nous confie qu'il n'apprécie guère l'usage abusif des moniteurs TV et autres écrans plasma dans les lıeux de convivialité. Il ne parle que turc (et roumain ce qui ne nous aıde pas des masses) mais fait des efforts considérables pour qu'on puisse echanger : on gesticule, on dessine, on mime, on chante... et on parvient une fois de plus a passer un bon moment. Depuıs l'İtalie que nous sommes confrontés à des gens qui ne parlent pas notre langue. Nous avons constate qu'avec ou sans l'anglais ou l'allemand comme béquille, ce qui compte vraiment c'est l'envie et le sens de la pédagogie. Alors que certains sont tétanisés à l'idee de devoir communiquer autrement que dans leur langue, d'autres déploient des trésors d'astuces et d'imaginatıon juste pour le plaisir de causer un brin avec nous.
Le lendemain, en approchant Tekirdağ, dernière grosse ville avant İstanbul, on apercoit la mer de Marmara et le vent qui souffle par bourrasque transporte avec lui les premiers flocons de neiges.