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samedi 15 décembre 2012

De Tekirdağ à Istanbul - 100 millions de pots d'échappement et nous et nous et nous...



La centaine de bornes qui nous sépare d'Istanbul n'est pas très exaltante, nous le redoutions et ça se confirme. La route longe la mer et traverse alternativement stations balnéaires sans âme et villages-vacances désertés (sans âme également donc). Ajoutons à cela des journées de pluie persistante qui nous font sentir rapidement le vieux chien mouillé et nous obligent à nous arrêter dans des hôtels pas toujours très bien chauffés, voire frigorifiques. Heureusement nous faisons la rencontre sur la route de quelques phénomènes qui pimentent nos dernières journées de marche.

Cemal et ses deux collègues ouvriers nous invitent à déjeuner dans leur cantine, nous pensons être invités à manger une soupe, c'est un repas complet qui nous est servi tandis qu'ils se contentent d'un plat de haricots. On est toujours un peu stupéfaits par la générosité de ces gens et même quelques fois pas très à l'aise. Histoire d'avoir quelque chose à offrir en retour, on sort notre petit carnet de route dont les dessins, dates et noms de villes traversées passionnent Cemal qui tient un véritable conciliabule sur notre voyage avec ses collègues auquel nous ne comprenons pas grand chose. Et toujours pour témoigner de notre reconnaissance, on prend leur adresse postale pour leur écrire depuis un autre endroit de notre périple. On a ainsi envoyé des cartes à tous les gens qui nous ont consacré un peu de temps. On aime a penser que ces courriers laissent sur notre passage comme une trace de notre voyage, ce sont nos petits cailloux blancs à nous.

Les invitations turcs s'apparentent parfois presque à des kidnappings. Suat fait des grands signes depuis sa voiture, nous lui répondons mais persistons à marcher. Il descend de sa voiture, traverse d'un air décidé la double voie, nous refourgue deux pide (pizza local) toutes chaudes. A peine les remerciement engagés, nous nous retrouvons embarqués pour aller boire un thé et finalement dormir chez lui. Il nous laisse seul dans sa maison, il a beaucoup à faire, il doit encore boire quatre ou cinq litres de thé et fumer trois paquets de clopes avec ses copains au bar du coin. Pendant qu'on se repose et qu'on prend une douche, son voisin Erdoğan frappe timidement à la porte pour nous dire qu'il est en train de nous préparer à manger. On comprend vite que c'est Suat qui l'a appelé pour le mettre sur le coup. İl nous fait griller du poulet et des légumes du jardin. Délicieux ! Il a l'air un peu stressé d'avoir des invités, cherche tout le temps un truc à faire, transpire et touche à peine à son assiette. Tleytmess est en empathie totale. Il nous précise qu'il est d'origine bulgare et qu'il est venu s'installer ici en 1989. Il a un atelier et un magasin de joaillerie à Istanbul, et il évoque des problèmes avec des voleurs qui seraient souvent kurdes. On aurait bien envie de lui répondre qu'en Grèce on nous disait que les voleurs étaient souvent bulgares... malheureusement, notre niveau de langage ne nous le permet pas. Pourtant depuis le début nous avons toujours tenté d'exprimer le plus clairement possible et souvent avec humour nos opinions. Une idée simple : pour que la rencontre soit réciproque on doit laisser de côté les salamalecs et s'obliger à un minimum d'honnêteté au risque de déplaire. Du coup, contrairement à ce qui est conseillé dans les guides, nous n'avons jamais menti ni sur notre statut, ni sur notre religion : nous affirmons clairement lorsqu'on nous le demande que nous ne sommes ni mariés, ni croyants, ça laisse souvent un blanc, mais pour l'instant «problem yok» comme le dit souvent Suat.

A l'approche du but, on s'enfile des journées de 25km sans trop de soucis ni de pauses. Le bruit assourdissant de la circulation nous empêche désormais de chanter pour passer le temps, alors on s'autorise à penser rétrospectivement à ce voyage qui semble bien toucher à sa fin. On se rend compte que sur les 7 mois passés à marcher, chaque journée etait suffisament singuliere et dense pour qu'on s'en souvienne précisement . On peut ainsi puiser un nombre infini d'impressions, de couleurs, de prénoms, de textures, d'odeurs, de gouts, de sentiments, de rencontres, d'émotions, de pensées, de sourires, de questionnements, de doutes...
Et puisqu'on parle de doute, ça commence à devenir vraiment dangereux de longer cette foutue D-100.
Comme souvent, lorsqu'on marche au bord des routes, les gens nous prennent pour des fous; et pour la première fois on se demande si en effet on ne l'est pas un peu -fou-. Qu'est ce qui nous pousse à vouloir à tout prix faire ce dernier tronçon jusqu'au panneau «Istanbul» ? Certainement l'une des choses qui a toujours été motrice jusqu'ici : sentir, éprouver notre environnement. Ces derniers jours, pour la seule et unique fois du voyage cet environnement est celui d'une ville tentaculaire qui s'étale à perte de vue. En entrant dans cette mégapole à pied on prend la mesure des différentes strates, des frontières successives, et de la densification progressive. Le flux de véhicules, les zones industrielles, les ports, les stations services, les motels, les centres commerciaux, les décharges, les bretelles d'autoroute, les pépiniéristes, les vestiges archéologiques, les buildings en construction, les cités dortoirs, les parkings, les salles de congrès vides; cet agglomérat nous dégoûte autant qu'il nous fascine.


On n'a finalement pas trouvé le panneau
On a alors écrit un petit mot
Avec des caılloux
Pour marquer le coup