Ca
y est, depuis un an et demi qu'on en parle à tout le monde, on y est. On se met
en route. Nous faisons nos premiers pas dans le village d'enfance de
Tleytmess : Monléon-Magnoac dans les Hautes Pyrénées. Et si tout va bien,
un ou deux milliards de pas plus loin on devrait mettre les pieds à Istanbul.
On passe devant l'école primaire de Tleytmess, une copine de sa mère nous
croise et fait une photo de nous un peu ahuris dans la rue principale du
village. Faut bien dire qu'on ne fait pas trop les malins pour l'instant, et
notre projet nous semble bien conséquent. On essaye de se rassurer : ce
n’est pas si ambitieux finalement, il ne s’agit que de marcher après tout;
longtemps, très longtemps.
Alors
que nous avons marché trois heures, il faut dix minutes de voiture à la
délégation familiale pour nous rejoindre pour un pique-nique arrosé d’une
averse impromptue. Une fois essorés, pour nous donner l’élan nécessaire, c’est
un bout de promenade digestive qui fera office d’au revoir ému mais serein.
Les
quatre premiers jours de marche à travers le Magnoac et le long de la Gimone en
direction de Toulouse suffisent à faire apparaître nos premières ampoules et
courbatures : les sacs sont quand même un peu plus lourds que prévu (17 et
19kg). Les paysages agricoles vallonnés et leurs quadrillages jaune lumineux
(colza), brun tendre (labours) et vert Véronèse (blé) composent une palette
apaisante et rafraîchissante qui nous aide à supporter ces petits tracas.
C'est
avec un immense plaisir que nous renouons avec la vie dans la nature :
réveil avec les oiseaux, marche le long des champs, coucher avec le soleil. Les
lieux de bivouac sont tous épatants. La première nuit, un concert de coassements
accompagne notre assoupissement quelque peu anxieux au bord du lac de
L’Astarac, la seconde, un jeune chat roux très avenant et sacrément burné vient
nous rendre visite alors que nous installons la tente dans un sous bois. Il
semble avoir comme une envie irrésistible de marquer son territoire et bien
qu’on adore les chats, on le vire à contre cœur redoutant qu’il pisse sur nos
sacs de couchage.
Dans
le Gers, nous traversons une ferme à l’orée d’un bois où des oies sagement
regroupées autour d’un poste suspendu à la branche d’un arbre portent une
attention toute particulière à l’émission radiophonique commentant les
résultats de l’élection présidentielle. La scène au petit matin, dans la
lumière ambrée, est aussi belle que surréaliste.
Nous
empruntons quelques morceaux du chemin de Saint Jacques de Compostelle « à
contre sens ». Cette précision peut paraître étrange mais c’est bel et
bien les remarques des pèlerins qui nous demandent tous les trois kilomètres
les yeux écarquillés « Vous en revenez ? » qui nous font dire
qu’il y a bien un sens de marche. Nous répondons amusés « non, nous ne
rentrons pas de Saint Jacques de Compostelle, nous nous rendons à pied à Istanbul ». La marche est
pour nous l’exercice le plus basique de la liberté et nous avouons avoir un peu
de mal à comprendre ce qui pousse tous ses randonneurs (convictions religieuses
mise à part) à explorer les mêmes endroits dans le même sens vers la même
destination réduisant considérablement le champ des possibles …
C’est à Gimont qu’Arnaud, un ami toulousain nous
rejoint pour une dernière journée de marche en direction de l'Isle Jourdain où
nous prenons le train pour ne pas rater notre rendez-vous du dernier vaccin
contre la rage à Toulouse. C’est là notre première entorse à la règle, ce sera (quasiment)
la dernière. Nous profitons de cette première pause pour nous reposer, faire
une lessive et passer du bon temps avec Arnaud qui hérite de quelques affaires
dont nous nous délestons pour alléger les sacs.